“Sang” et “Culture”
Les Conflits Ethniques Seraient ils Naturels?
Corner House Briefing 11
by Nicholas Hildyard (traduction: C. Bertrand)
first published 30 January 1999
Summary
Au sein du mouvement écologiste occidental une aile conservatrice importante a développé, dans un souci de stabilité sociale, des conceptions sur la "culture" qui placent la cause profonde des "conflits ethniques" dans des antagonismes anciens, définitifs, implacables et invétérés entre populations. Ces conceptions sont très proches de celles de la Nouvelle Droite qui, de plus en plus, s'approprie le langage de la "différence" culturelle pour promouvoir un "racisme différencialiste". Il est important que les groupes progressistes s’opposent à cette manupulation politique d'éthnicité des environnementalistes conservateurs, ou de la Nouvelle Droite.
Contents
- Rwanda: ethnicité et répression
- Après l'indépendance
- Les politiques de l'ethnicité
- Du "Sang" à la "Culture": un nouveau racisme
- Le voie du ghetto
- Ethnocentrisme et racisme.
- La "Gaïan sociobiology"?
- La séparation à tout prix?
- Vers une "naturalisation" du conflit
- Des réponses plurielles
- Ni droite ni gauche?
- References
Acknowledgements
Nicholas Hildyard would like to thank those who commented on drafts. He worked at The Ecologist from 1972-97, assuming the journal's editorship (with others) from 1990-1997. In 1997, political differences with the magazine's founder, Edward Goldsmith, over ethnicity and gender issues led Hildyard and the rest of the editorial team to leave and to set up The Corner House. An earlier version of this paper, "Blood and Babies" is published in Ecology, Politics and Violent Conflict, Suliman, M. (ed.) Zed Books, London, 1998.
Full text
On a, depuis longtemps, partout dans le monde, tenté d'expliquer les guerres civiles en se référant aux notions de "Sang" et de "Culture"; ce type d'explications semblant relever du bon sens. Ainsi beaucoup pensent, comme allant de soi, que les horreurs de la purification ethnique en Yougoslavie ou au Rwanda, sont dûes à des antagonismes anciens, définitifs, implacables et invétérés entre populations. Comment expliquer autrement l'horreur absolue qui amène des voisins qui vivaient jusque là dans l'harmonie à se découper réciproquement en morceaux? La haine entre musulmans et serbes ou entre hutus et tutsis doit donc s'expliquer par une histoire de "Sang" - laissez les deux parties se sauter à la gorge et le génocide est inévitable.1
Si vous ne restez pas en surface et si vous creusez les conflits civils inter - ethniques, vous verrez vite que les explications par le"le Sang" ou "la Culture", sont trompeuses et superficielles.2 La "haine tribale" (vécue par certains comme un sentiment réel et sincère) n'est pas le produit de la "nature" ou d'une "culture" originelle mais le produit "d'un faisceau complexe de causes, politiques, économiques, historiques, psychologiques et d'une lutte pour l'identité.3 Comme l'a écrit Fergal Keane, correspondant de la BBC Afrique, à propos du génocide rwandais de 1994:
"Comme beaucoup de mes collègues, j'ai débarqué au Rwanda en croyant que les petits trappus avaient simplement décidé d'allumer les grands fins parce qu'il en avait toujours été ainsi. Pourtant maintenant, deux années plus tard ... je pense que la réponse est tout autre. Ce qui s'est passé au Rwanda fut le résultat d'une manipulation cynique de la part des dirigeants politiques et militaires au pouvoir. Plutôt que de partager une partie de leurs richesses et de leurs pouvoirs avec le Front Patriotique Rwandais (insurgé), ce choix était possible, ces dirigeants ont préféré calomnier le groupe qui constituait le principal soutien du Front, les Tutsis. ... Les tutsi furent qualifiés de vermine, de cancrelats - Inyenzi en kinyarwanda - à écraser sans pitié ... De la même manière que les nazis ont exploité l'antisémitisme latent en Allemagne, les forces extrémistes hutus ont identifié et transformé en frénésie meurtrière les griefs qui existaient à l'encontre des tutsi, griefs liés à l'histoire. Le moteur ne fut pas, en tout premier lieu, le tribalisme mais le désir des élites de préserver la concentration de la richesse et le pouvoir entre leurs mains."4
Il n'est pas question de nier le fait que l'ethnicité c'est à dire les représentations ethniques (c'est le sens que nous donnerons dans ce texte au terme ethnicité) ne puisse se transformer - que ce soit au Rwanda ou n'importe où ailleurs dans le monde - en force meurtrière. Il s'agit néanmoins de mettre en évidence que ce qui fait l'appartenance ethnique, à savoir le partage de valeurs, histoires, coutumes et identités, est une construction sociale. La cause profonde des conflits ethniques n'est pas à trouver dans une haine entre frères qui ne seraient pas de même sang mais dans ces divisions générées par les sociétés.
L'ethnicité est le produit de l'imagination des sociétés. En outre, les "communautés imaginaires" telles qu'elles ont été construites c'est à dire en définissant les groupes particuliers comme distincts et uniques à chaque moment et dans chaque contexte donnés, ne sont pas immuables: au contraire, ces communautés sont constamment réimaginées de même que les relations à l'intérieur et entre les groupes sont retravaillées à travers les interactions sociales quotidiennes. Il faudrait sans cesse redéfinir avec finesse ce que nous entendons par"nous" et par "ils" de même que les histoires sont racontées et re - racontées, les traditions inventées puis discréditées, les statuts attribués puis récusés, les alliances forgées puis rompues, les identitées revendiquées puis rejettées.5 L'explication des conflits ethniques par la "Culture" n'est pas plus pertinente que celle qui invoque le "Sang". Au contraire, ce qu'il faut expliquer c'est la forme qu'une culture prend à chaque moment donné de son histoire.
Rwanda: ethnicité et répression
Dans le cas du Rwanda, la signification qu'un individu donne au fait d'être "hutu" ou "tutsi" reflète non seulement les pratiques du colonialisme mais aussi les pratiques du développement durant la période post-coloniale. En outre, les significations varient énormément selon les classes et d'une région du pays à l'autre.6 On dispose de très peu d'informations sûres concernant l'ethnicité avant l'avènement de l'ordre colonial, d'abord avec les allemands, puis, plus tard, avec les belges.
Le groupe ethnique établi depuis le plus longtemps dans la région est le groupe des twa, un groupe vivant de chasse et de cueillette; ce groupe est, aujourd'hui, à la fois très réduit en nombre et objet de discrimination de la part de la majorité des hutu et tutsi, indistinctement.7 On dit des hutu qu'ils ont émigré dans la région il y a plusieurs siècles, certainement avant l'arrivée, au 15 ème et 16 ème siècles, des éleveurs de bovins tutsi. Quelques historiens de la culture rwandaise décrivent ainsi la situation au 19ème siècle
"Des siècles de cohabitation et d'inter - mariages avaient produit un système social intégré dans lequel les catégories hutu et tutsi étaient largement définies sur la base de l'activité: quiconque possédait un troupeau important de bovins était appelé tutsi et hautement considéré".8
Il est vraisemblable, bien que certains le contestent, qu'au moment de la colonisation par les européens, au 19 ème siècle, le Rwanda était un royaume avec un roi tutsi, des paysans indépendants, les hutus, dominés par les propriétaires de bovins, les tutsi.
Quoiqu'il en soit de la nature de l'ethnicité durant la période précoloniale, il est clair que les autorités coloniales ont inscrit la discrimination ethnique dans la vie qutidienne des rwandais. C'est sous l'ordre colonial, que furent introduites les cartes d'identité ethniques qui définissaient et fixaient les identités - au mépris du contexte social - en se basant sur une science des races fallacieuse, par exemple la taille du crâne et la dimension du nez. Les nouvelles sources de pouvoir et de privilèges qui apparurent, sous l'administration coloniale, revinrent presqu'exclusivement aux administrateurs blancs et à ceux qui étaient désignés comme tutsi. Les emplois dans l'administration et l'armée, par exemple, étaient presqu'exclusivement réservés aux tutsi. Les allemands puis plus tard les belges justifièrent l' exclusion des hutu en déclarant que les tutsi étaient d'une certaine façon moins africains, plus européens et, par extension, supérieurs à leurs compatriotes hutu, hommes et femmes. Comme le rapporte Keane:
"Ils invoquaient la grande taille des tutsis, leurs traits aquilins, le fait qu'ils préféraient l'élevage des bovins au labour de la terre comme les preuves d'une civilisation supérieure. Tous les moyens possibles et imaginables furent employés pour prouver la théorie de la supériorité innée des tutsi. Crânes et nez furent mesurés. Des légendes furent inventées pour expliquer la présence de ces êtres supérieurs au centre de l'Afrique ... En fait, les belges cherchaient moins à aborder les tutsi comme des égaux qu'à s'en faire des alliés parce qu'ils avaient besoin d'eux pour maintenir une pratique politique profondément injuste.9
En d'autres mots, "la race et l'identité furent le moyen de créer et maintenir une structure de pouvoir injuste en elle même" - une structure de pouvoir clairement hiérachisé des blancs aux tutsi aux hutu aux twa.
Après l'indépendance
Le sentiment, refoulé, d'injustice qui était ressenti par ceux qui se trouvaient au bas de la hierarchie explosa durant le processus d'indépendance et un facteur non des moindres fut l'attitude des belges en partance qui abandonnèrent l'élite tutsi - celle ci était de plus en plus considérée comme composée de dangereux gauchistes anticolonialistes - au profit des hutu.11 Il en résulta des séries de massacres brutaux, la nouvelle élite, appuyée par les belges, faisant monter le ressentiment populaire à l'encontre des tutsi afin de consolider sa main mise sur le pouvoir. Cette même tactique a sous tendu les politiques des gouvernements successifs après la fin de la colonisation.
Le racisme (la discrimination institutionnalisée par un groupe contre un autre, discrimination basée sur des différences imputées à la culture et à la biologie) s'installa dans la politique du gouvernement, exactement comme ce fut le cas durant la période coloniale - seulement désormais les cibles étaient les tutsi, les twa et les opposants hutu au régime. Le système des cartes d'identité ethnique, introduit par les belges, fut maintenu. Les Tutsi étaient empêchés d'entrer dans l'armée ou de faire le service civil par un système de quota discriminatoire; il était interdit au personnel militaire d'épouser des tutsi, interdiction qui s'appliquait aussi à ceux qui briguaient des postes politiques. La législation et les "preuves" administratives rappelaient quotidiennement aux gens que les tutsi étaient non seulement différents mais de potentiels "ennemis de l'intérieur".12 Un réservoir de boucs émissaires fut ainsi créé qui pourrait servir de cible dans les périodes de troubles - et ce fut le cas. En 1972 - 1973 par exemple, quand le mécontentement populaire devant l'incapacité du régime à trouver des réponses à la pauvreté croissante commença à effrayer le gouvernement, des campagnes anti-tutsi furent orchestrées par les dirigeants: des milliers d'enfants tutsi furent expulsés des écoles tandis que les milliers d'adultes perdaient leur emploi.
En dépit de ce racisme sponsorisé par l'Etat, des millions de dollars destinés à l'aide affluèrent dans le pays durant les années 70 et 80. Les conditions de vie de la majorité des gens (hutu, tutsi et twa, indistinctement) continuaient à se déteriorer - c'est entre autres le résultat des projets de développement mis en place par le gouvernement et les organisations d'aide.14 Au début des années 90, selon le chercheur en sciences sociales Peter Uvin, au moins 50% de la population vivaient dans des conditions de pauvreté extrême tandis que 40% vivaient à peine mieux. Pendant ce temps, au sommet de la hiérachie, 1% de la population - la petite clique des hutu partisans qui avaient les grâces du président du pays, Juvenal Habyarimana - vivait dans le luxe.
En 1990, la pression en faveur d'un changement politique était devenue intense. Les dissidence intérieure augmentait et les hutu modérés commençaient à s'organiser contre l'autoritarisme et la corruption totale du régime Habyarimana. Le gouvernement faisait face aussi à une menace militaire croissantede la part du Front Patriotique Rwandais (FPR), une armée de guérilla constituée principalement d'exilés tutsi; cette armée était devenue, alors, suffisamment forte pour envahir le pays à partir de ses bases situées dans l'Ouganda voisin. Avec la fin de la guerre froide, les organisations d'aide dont le régime était de plus en plus dépendant commençèrent à faire des pressions sur celui ci en faveur de la démocratisation et du partage du pouvoir avec le FPR et l'opposition intérieure croissante.
Menacés de l'intérieur et de l'extérieur, Habyarimana et sa clique hutu originaire de la région Nord se saisirent de la seule stratégie à même de mobiliser l'opinion publique derrière le gouvernement: faire des tutsi les boucs émissaires. Comme le relate Keane:
"Les journaux et les radios commencèrent à exhorter les gens à se rallier derrière le "hutuisme". Mettre les tutsi dehors, ne faire preuve d'aucune pitié, voilà les recommandations que diffusait la virulente radio des Mille collines. Une milice hutu fut créée, les Interhamwe: "ceux qui sont debout ensemble". Les gens étaient progressivement familiairisés avec la perspective d'une solution finale qui débarasserait le Rwanda de toute l'opposition politique au gouvernement - tous les tutsi et tous les hutu modérés opposants au régime. Les tutsi étaient les boucs émissaires appropriés et les hutu les plus modérés pouvaient facilement être condamnés en tant que traîtres à leur tribu.
Quand Habyarimana lui même sembla faiblir sous la pression internationale et envisager le partage du pouvoir, son jet fut bombardé en vol. De même que l'incendie du Reichtag fournit à Hitler un prétexte pour prendre le pouvoir, de même l'assassinat d'Habyarimana, très probablement par ses associés, donna le signal de la solution finale au Rwanda. Les tueries commencèrent dans la soirée du 6 avril 1994".16
Il en résultat, comme le monde entier le sait aujourd'hui, un bain de sang. La cause de ce bain de sang n'est pas à chercher dans quelque pulsion "culturelle" innée qui aurait amené un groupe ethnique à massacrer ses voisins mais du côté du pouvoir et des privilèges. La violence à Kigali n'était pas initialement spontanée: les tueries, la nuit où le président fut assassiné, furent principalement le fait de ses propres gardes, de la milice et de l'armée.17 Dans leur grande majorité et durant des semaines, les ptéfets, les bourgmestres et les citoyens ordinaires ne participèrent pas au carnage - et pourtant durant cette période ils furent bombardés quotidiennement de messages haineux à l'encontre des "tutsi". L'ethnicité fut l'outil qui permit à une élite peu nombreuse mais dangereuse de répandre la peur dans toute la société rwandaise, légitimant dans un premier temps la suppression des opposants et finalement faisant basculer la population dans la violence.18
Les politiques de l'ethnicité
D'autres foyers de conflits ont donné lieu à des analyses similaires en attribuant la violence à des hostilités tribales originelles19 20 Comme le remarque l'historien Noel Malcom à propos des récents conflits dans ex Yougoslavie:
"A l'Ouest, la version populaire des guerres récentes ... était toujours qu'il s'agissait de "conflits ethniques" créés par le débordement d'obscures et virulentes haines ethniques au sein des populations locales. Cette approche est fondamentalement erronnée: elle ignore le rôle primordial joué par les politiciens (en premier lieu, le nationaliste - communiste serbe Milosevic) dans la création des conflits au niveau politique ... Parler pour caractériser l'histoire de ces régions de vieilles "haines ethniques" est une erreur grossière: il n'y a jamais eu de guerres à base ethnique dans l'histoire "ancienne" de la Bosnie ou de la Croatie. Les seuls conflits à caractère partiellement ethnique sont les conflits "modernes". qui se sont produits dans des conditions géopolitiques particulières (en premier lieu, la seconde guerre mondiale) ... Des préjugés et griefs existent bien sûr. Mais il y a un fossé entre d'une part la portée restreinte de ces préjugés et griefs et d'autre part un conflit militaire, des camps de concentration et des meurtres massifs: ce sont les dirigeants politiques qui ont propulsé les gens sur cette route et non l'inverse".21
Bien sûr il existe quelques conflits "ethniques" (et même religieux) à propos desquels ont été effectuées des analyses approfondies qui montrent que les supposées et invétérées hostilités "tribales" sont moins fondées sur des anciennes rivalités (bien que l'on puisse en jouer ensuite) que sur des conflits tout à fait contemporains concernant le pouvoir, la justice, les valeurs, les ressources et les droits. Ce n'est pas surprenant car l'ethnicité - "la construction et la mobilisation conscientes et imaginatives des différences (?)"22 - est toujours médiatisée et modelée par la société et sa mobilisation en tant que force politique et culturelle reflète les relations de pouvoir.
La mobilisation de l'ethnicité par les mouvements sociaux, les élites et l' état nation peut prendre des formes très variées, à la fois négatives et positives. Elle peut viser à soutenir "l'expression, l'autonomie et les tentatives de survie culturelle" ou, au contraire, prendre des formes négatives caractérisées essentiellement par la haine, le racisme, et le désir de dominer ou d'éliminer les autres groupes".23 Dans certains cas, l'ethnicité peut devenir le point de ralliement des groupes minoritaires pour se mobiliser et résister aux identités culturelles qui leur sont imposées par la majorité: en effet l'ethnicité devient alors le moyen de contester des visions imposées de la différence.24 On peut citer par exemple la renaissance de traditions culturelles réprimées chez les basques ou les Indiens d'Amérique (résistant à la fois à l'invasion des valeurs culturelles espagnoles et US/canadiennes) ou l'invention de nouvelles traditions par les jeunes noirs qui cherchent à de différencier de la société blanche américaine.
Dans d'autres cas cependant, l'ethnicité peut signifier la mobilisation de la majorité autour d'identités nationales imaginées (ou réinventées) dans la perspective de légitimer la suppression ou la colonisation de cultures minoritaires. En Indonésie, par exemple, durant les années 80, la transmigration, sponsorisée par le gouvernement, de familles paysannes de Java vers les îles de la périphérie de l'archipel faisait partie d'un programme plus vaste visant à "'intégrer tous les groupes ethniques dans une nation, la nation indonésienne".25 Les habitants indigènes des îles de la périphérie étaient considérés officiellement comme "suku suku terasing" ("arriérés et étrangers"): dans le but de les assimiler à la "nation indonésienne" les autorités brisèrent des communautés entières dispersant les familles entre les différents camps de transmigration. Le Ministre responsable de la Transmigration déclarait en 1985: "différents groupes ethniques vont à terme disparaître en raison de leur intégration ... Il y n' aura plus qu'une seule sorte d'homme".26
L'ethnicité a été utilisée, d'une façon similaire, en Thaïlande pour reprocher aux cultivateurs itinérants des hautes terres de dégrader l'environnement et justifier l'imposition de la culture majoritaire "Thai".27 En grande Bretagne, la stigmatisation sur une base ethnique des écossais et des irlandais a été effectuée avec une extrême brutalité par le gouvernement et l'élite afin de justifier le départ forcé de centaines de milliers de petits fermiers dits"improductifs" des Highlands d'Ecosse au 19 ème siècle28 et la famine organisée qui toucha des millions de paysans irlandais durant "la famine de la pomme de terre" des années 1840.29 Cette volonté de mobiliser l'ethnicité contre des boucs émissaires est évidente aujourd'hui dans les discours des élites à la fois au Nord et au Sud quand elles imputent "aux pauvres" ces mêmes caractères qui relèvent du stéréotype
("improductifs", "arriérés", "incapables", "paresseux") et qu'elles expliquent leur marginalisation par la 'culture de la pauvreté".
Du "Sang" à la "Culture": un nouveau racisme
L'utilisation de ces stéréotypes culturels n'a jamais été sans susciter des réactions d'opposition: les groupes opprimés ont revendiqué leur droit à l'autodétermination et, plus crucial, le droit de se définir eux mêmes plutôt que de l'être par les autres. Ces revendications - qui ont longtemps constitué le programme central des mouvements mondiaux contre le racisme et pour les droits de l'homme et des peuples autochtones - se basent non seulement sur la reconnaissance de la diversité des cultures mais aussi, et fréquemment, sur un engagement à combattre les fondements politiques et sociaux du racisme et de la xénophobie. En ce sens, ces revendications ont joué un rôle central dans la lutte "contre l'hégémonie de certains impérialismes standardisants et contre l'élimination de civilisations minoritaires ou dominées".30
Dépouillé de cet engagement, le "droit d'être différent" peut prendre une tonalité toute autre. En Europe, par exemple, la Nouvelle Droite a tenté de s'approprier le langage de la "différence" pour défendre la cause de l'apartheid culturel. En France, le Groupement de Recherche et d'Etudes pour la Civilisation Européenne (GRECE) - un groupe rassemblant l'aile droite des intellectuels dont certains entretiennent des liens étroits avec les groupes néo - fascistes européens - a été le promoteur de ce qu'on appelle le "racisme différencialiste". En défendant l'idée que les différences culturelles sont définitivement établies et inconciliables, GRECE détourne la défense "du droit d'être différent" et l'utilise pour argumenter la cause d'une nouvelle et subtile forme d'apartheid. Il en résulte une politique d'exclusion: les différents groupes ethniques devraient être séparés parce que le mélange soit provoque des violences ethniques soit conduit, à travers les "croisements" à la destruction des identités.
Pour les analystes français ce remaniement de la théorie raciste relève d'une stratégie délibérée qui vise à rendre les sentiments racistes plus acceptables par le grand public. Il ne fait aucun doute que ce travail des intellectuels dans le cadre de GRECE fait le lit, que cela ait été voulu ou non, de groupes néo - fascistes comme Front national de Jean Marie Le Pen, en créant un environnement intellectuel plus "compréhensif" (et réceptif) aux conceptions racistes déclarées.31
Contrairement aux racismes de l'époque coloniale, le racisme "différencialiste" ne fait pas mention de la supériorité biologique d'une "race" sur une autre. Au contraire, il est prêt à concéder que le concept de "races" - qui seraient des unités biologiques que l'on pourrait isoler - est imparfait; l"identité raciale" est le produit de circonstances historiques contingentes. En outre, ce nouveau racisme ne cherche pas à éliminer "l'autre": il insiste plutôt sur le respect de la diversité ethnique et culturelle et les différences qui en découlent. Ainsi, l'architecte intellectuel de GRECE, l'intellectuel Alain de Benoist, soutient que "le racisme n'est rien d'autre que le refus de la différence" que ce refus prenne la forme de la xénophobie ou celle des programmes libéraux "humanitaires" intégrationnistes.32
La Nouvelle Droite ne conçoit pas l'identité culturelle comme quelque chose de relatif, de fluide, de multiforme ou d'ouvert à la négociation mais comme un destin à jamais fixé. Cette vision est en totale contradiction avec l'expérience vécue par ceux dont les allers et venues quotidiens constituent ces différences culturelles dont elle se préoccupe aujourd'hui. Entre les mains de la Nouvelle Droite, la culture, envisagée comme "un objet, une chose ou une substance matérielle ou métaphysique"33 devient un mécanisme qui, comme les gènes, enferme, à priori, les individus et les groupes dans une généalogie ... immuable et intangible.34 La "Culture" devient "Nature" - déterminisme auquel s'est toujours opposé le canon libéral antiraciste.
Imprégnés des différentes ethnicités, liées à la naissance et à l'éducation, les gens d'une culture sont déclarés inaptes à vivre avec ou à côté d'autres qui ont des traditions, des styles de vie, des coutumes différentes.35 Pour la Nouvelle Droite la différence entre groupes va de concert avec la séparation et non avec le pluralisme et l'équité. Il en résulte"une politique d'exclusion" qui va des demandes de rapatriement des "non ressortissants/étrangers" au génocide sous forme de "purification ethnique" (,3738). Comme Roland Axman de l'Université d'Aberdeen l'écrit à propos de GRECE:
"L'autre face ... (de la position de GRECE) est de proclamer ... que les différences doivent être préservées à tout prix, qu'elles doivent être cultivées, développées et défendues contre toute tentative de les abolir. Il en résulte cette version particulière du droit à la différence qui s'organise autour d'un "amalgame de phobies": "la hantise et la peur de la destruction des identités à travers les croisements - le métissage physique et culturel".39
Le voie du ghetto
Il n'est pas difficile d'imaginer à quelles extrémités (?) une telle politique peut mener, En Europe et ailleurs. En Belgique, l'aile droite du Mouvement Nationaliste Flamand - Vlaams Block - est déjà en train de demander des écoles spéciales afin de "refamiliariser les enfants non européens avec leurs cultures respectives" (supposées définies par Vlaams Block) avant leur rapatriement réclamé au nom de "l'incompatibilité des cultures non européennes et européennes".40 Au Brésil, les grands propriétaires conservateurs (et certains conservateurs occidentaux) ont demandé que les groupes autochtones dont les membres ont adopté un habillement "de style occidental" soient dépouillés de leurs droits sur leurs territoires traditionnels en arguant du fait qu'ils ont "perdu" leur culture - comme si la culture était un objet concret qu'il était possible d'égarer comme une valise.
Au lieu d'être un rempart contre les stéréotypes et les identités imposées, la "différence" ouvre la voie du ghetto, menaçant d'un cauchemard totalitaire ceux qui ne s'ajustent pas à cet ordre nouveau ou dont la conception de l'identité culturelle ne s'accorde pas avec les ethnicités prescriptes par la Nouvelle Droite. "Vous êtes turc? Bien, c'est votre culture. Mais si vous ne vous conduisez pas comme un turc, nous devrons vous rééduquer". "Vous êtes un européen marié à une juive? Je suis désolé, il faut vous séparer. Vous appartenez à des cultures différentes ..."
On assiste à l'émergence d'un "racisme sans race". Ce projet n'est pas moins impérialiste et opprimant que les formes de racisme antérieures et il tend vers la même homogénéité culturelle: opprimant parce que la supposée "'immuabilité" des cultures enferme les gens dans des stéréotypes culturels qui ne sont pas de leur fait; tentative d'homogénéiser les cultures parce qu'il est supposé que chaque culture dispose d'un noyau "authentique", toute déviation devant être combattue; impérialiste parce que la "défense" des cultures justifie la partition des nations et régions existantes au nom des orthodoxies territoriales et culturelles préconçues et imposées par groupe dominant. La conséquence logique est la séparation des ethnies, la ghettoïsation et la légitimation du processus de domination d'une culture sur les autres quand l'hégémonie d'un groupe lui permet de déclarer sa culture comme étant la culture "authentique".
Ethnocentrisme et racisme.
L'essentialisme culturel n'est pas le seul apanage de la Nouvelle Droite. En effet beaucoup d'entre nous n'en sommes pas exempts - tendance que la Nouvelle Droite a su habilement exploiter afin de transformer, en apparence, le racisme en faisant croire qu'il n'est rien d'autre qu'un ethnocentrisme profondémment ressenti. Ainsi par exemple, la philosophe et sociologue Renata Salecl écrit-elle à propos du nouveau "méta-racismme" de la Nouvelle Droite:
"Comment réagirait un méta-raciste devant une attaque néo - nazie contre des femmes turques? Celui ci, après avoir exprimé sa répulsion à l'encontre de la violence néo-nazie et avoir condamné sincèrement cette violence, ne manquerait pas d'ajouter rapidement que ces évènements aussi déplorables soient ils doivent être replacés dans leur contexte. Ils sont l'expression, sous une forme pervertie, d'un réel problème à savoir que l'expérience d'appartenir à une communauté ethnique bien délimitée, expérience qui donne un sens à la vie de chaque individu, est de moins en moins possible dans notre Babylonne contemporaine. Les vrais responsables sont, donc, les partisans cosmopolites du "multiculturalisme" qui sont favorables au mélange des races et contre les mécanismes naturels d'autodéfense".41
Le racisme devient ainsi défendable puisque notre ethnocentrisme fait de "chacun de nous un raciste", selon les mots du défunt politicien britannique, Enoch Powell.
Il y a cependant un fossé entre l'essentialisme culturel tel qu'il s'exprime, par exemple, à travers des blagues ethnocentriques ("L'anglais, l'irlandais et l'écossais") ou dans le désir qu'a chacun de faire partie d'une communauté et les tentatives systématiques de la Nouvelle Droite de créer des communautés peuplées exclusivement par un groupe ethnique - donc pour faire de l'exclusion le principe organisateur de la société. C'est l'essence même du programme du culturalisme de la Nouvelle Droite (illustré par GRECE en France, par Le Parti Une Seule Nation de Pauline Hanson en Australie et en partie par le Mouvement séparatiste noir de Louis Ferrakhan aux USA) qui en fait un projet si oppressif et autoritaire - et certains diraient fascistes.42
La "Gaïan sociobiology"?
Cette tendance à l'essentialisme culturel dominateur peut aussi être, parfois, mise à jour chez des radicaux qui ont, sur d'autres thèmes, des positions pénétrantes et progressistes. Il y a, par exemple, au sein du mouvement environnementaliste occidental une aile conservatrice importante qui a développé, dans un souci de stabilité sociale, des conceptions sur la "culture" et le conflit ethnique très proches de celles de la Nouvelle Droite.
Il n'est pas surprenant que la Nouvelle Droite ait rapidement cherché des alliés potentiels parmi les Verts conservateurs. En Europe, par exemple, Edward Goldsmith, fondateur et actuellement co - editeur de L'Ecologiste, co fondateur du Forum International sur la Mondialisation et lauréat, en 1993, du prestigieux "Right Livelihood Award" - fut invité à faire une allocution lors de la célébration du 25ème anniversaire du GRECE, invitation qu'il accepta. Les conceptions qu'a Goldsmith de la société relèvent d'un traditionnalisme rigide, ceci en dépit du grand respect qu'ont inspiré en Angleterre et au niveau international ses campagnes energiques contre la puissance nucléaire, la pollution chimique, la Banque Mondiale et le pouvoir croissant des groupes transnationaux. Pour lui, le but suprême de la politique des Verts est de de rétablir "un ordre social naturel, organisé sur le même plan et gouverné selon les mêmes lois que le Cosmos et le monde naturel".43 La tradition est le moyen de traduire ce plan global dans la société, en réglemantant les relations humaines - entre hommes et femmes, à l'intérieur des familles et communautés et entre les groupes ethniques - de telle sorte qu'elles soient en accord avec les préceptes de la Gaia.
Dans ce points de vue, les droits de l'homme sont secondaires par rapport à la stabilité sociale entendue selon la lecture particulière qu'a Goldsmith de ce qui constitue à la fois la nature et la société (selon lui, la stabilité des structures sociales est déterminée par la façon dont elles reflètent, plus ou moins, les structures de la Gaïa). Beaucoup disent qu'au final cette "Gaian sociobiology"44 débouche d' elle même sur des programmes autoritaires dès que sont abordés des thèmes comme l'ethnicité, la famille et la communauté.
Lorsque, par exemple, il commente les conflits en Irlande du Nord, Goldsmith insiste sur le fait que les catholiques et les protestants constituent deux "groupes tribaux" séparés, dans une opposition implacable et dont les différences sont insurmontables sur le plan culturel; la seule solution durable à la guerre qui a ravagé périodiquement le pays depuis des dizaines d'années est de séparer les deux communautés, en usant de la force si nécéssaire. Trois ans après la série la plus récente de "Troubles" qui a éclaté en 1968, Goldsmith écrit
"En Irlande du Nord, les catholiques et les protestants ... constituent deux groupes ethniques distincts, dont l'origine est différente et qui ont des comportements, des traditions, des motivations et des capacités différentes. Ils pourraient partager le même espace géographique et former une même société s'ils étaient capables de vivre en symbiose culturelle, ce qu'ils ont fait jusqu'à présent. Aujourd'hui, les catholiques ne veulent plus être limités aux échelons les plus bas de la hiérarchie économique car les modèles culturels qui les y prédestinaient ont été remis en cause. La seule solution qui reste est de les séparer des protestants en leur donnant leur propre territoire. Ataturk a séparé les grecs et les turcs, ce qui fut un succès en dépit de protestations terribles à l'époque et de désagréments indubitablement considérables pour les gens qui furent forcés d'émigrer. Mais ne devons nous pas accepter un certain nombre de désagéments dans la perspective de parvenir à établir une société stable?".45
Ce qui manque totalement dans ce bilan, c'est la capacité de comprendre que les "différences" en Irlande du Nord ne sont pas réductibles aux différences entre "catholiques" et "protestants" - même s'il s'avérait possible (ce qui ne l'est pas) de catégoriser les populations d'Irlande du Nord sur la base de camps si vastes et homogènes. Tous les catholiques ne sont pas républicains (partisans d'une Irlande unie) pas plus que tous les protestants ne sont unionistes (favorables au maintien de (l'Irlande dans le Royaume Uni). L'expérience des politiciens unionistes et républicains est très différente selon qu'ils sont des hommes ou des femmes;46 les différences de classe peuvent conduire à penser que la classe moyenne catholique a plus à voir avec la classe moyenne protestante qu'avec la classe ouvrière catholique et vice versa. En outre, même ces différences de classe occultent les grandes divergences qui existent entre et parmi les individus, par exemple, la façon dont ils envisagent le conflit - et leur désir ou refus de renégocier les structures politiques existantes.
La séparation à tout prix?
Plus récemment, Goldsmith a développé une argumentation de même type en faveur de la séparation des tutsi et des hutu au Rwanda:
"Seul un individu totalement irresponsable pourrait suggérer que les tutsi et les hutu doivent vivre ensemble et constituer une même société. Il devraient être clairement séparés et si les autres gouvernements africains refusent cette idée c'est parce qu'ils ne veulent pas créer un précédent qui pourrait encourager d'autres groupes ethniques à la sécession et à refuser de continuer à se soumettre au pouvoir tyranique et corrompu des dirigeants actuels".47
Il déclare qu'il y a dans tous les pays africains
"une bombe à retardement prête à exploser, précisemment parce que chacun d'entre eux a été créé sans que l'on prenne le moins du monde en considération les différences entre les populations vivant à l'intérieur des frontières - et le moment viendra, c'est seulement une question de temps, où différents groupes qui constituent ces pays artificiels chercheront à obtenir leur indépendance".48
La solidarité avec les mouvements progressistes indépendantistes est une chose, découper l'Afrique au nom d'"ethnicités" préconçues en est une autre. Il est indubitable que le colonialisme a imposé des états arbitraires aux populations d'Afrique sans prendre en considération leurs propres identifications. Il est indubitable aussi que, depuis, beaucoup de groupes ethniques se sont battus pour revendiquer leur droit à l'autodétermination, d'abord contre les pouvoirs coloniaux puis contre les gouvernements post-coloniaux. Les tentatives du Biafra pour obtenir son indépendance du Nigéria dans les années 60 en sont juste un exemple.
Cependant, l'histoire de la "bombe à retardement" africaine ne fournit pas d' explications aux nombreux conflits que connnait l'Afrique contemporaine; la majorité de ces conflits renvoie à des politiques beaucoup plus complexes que ne le suggère Goldsmith. Les identités ethniques pré-coloniales ont, dans beaucoup de cas, évolué en nouvelles (et différentes) identités dont il est difficile de déterminer le degré de proximité avec les supposées unités ethniques, "authentiques" et "naturelles", de la période pré-coloniale. En outre, dans beaucoup de conflits, les revendications des groupes rebelles ne sont pas nécéssairement centrées sur l'affirmation des droits de leurs propres groupes ethniques à l'exclusion de ceux des autres, ni sur la modification des frontières en vue de créer de nouveaux "mini-états". Au contraire, beaucoup de mouvements sont à la recherche d'un équilibre entre tous les groupes ethniques dans le cadre des frontières existantes. L'accent est souvent mis plutôt sur la lutte contre les structures politiques dominantes qui renforcent, aujourd'hui, l'exclusion ethnique que sur l'exclusion comme base de la nouvelle géographie politique du futur.49
L'ethnicité dans l'Afrique contemporaine n'est pas "quelque chose d'originel, quelque chose de donné, quelque chose qui définit l'identité à l'exclusion d'autres facteurs";50 au contraire elle est mouvante, fluide, et en constant remaniement en réponse aux changements qui surviennent dans les contextes politique, économique et social.51 Il n'y a pas non plus d'ethnicités pré-coloniales fixées une fois pour toutes en attente d'être libérées. L'idée que l'Afrique est constituée d'états tribaux authentiques, tout prêts et "en attente", et qu'il suffirait de les découper dans les nations imposées par le pouvoir colonial relève de la fiction historique. Ainsi comme le souligne Terence Ranger, professeur de "Race Relations" à l'Université d'Oxford:
"La pupart des études récentes qui portent sur l'Afrique pré-coloniale du 19ème siècle ont mis en évidence le fait que la plupart des africains, bien loin d'avoir une seule identité tribale, jouissaient de multiples identités; ils se définissaient selon les moments comme sujet de tel chef, comme membre de tel culte, comme faisant partie de tel clan ou encore comme un initié de telle corporation professionnelle. Cette multiplicité d'identités s'inscrivait aussi dans une pléthore de réseaux d'associations et d'échanges s'étendaient sur de vastes zones. Ainsi les frontières de l'administration tribale et sa hiérachie ne définissaient pas les horizons conceptuels des africains".52
Il ne s'agit pas de dire que "la tribu" ne représentait pas une unité politique et sociale dans l'Afrique pré-coloniale. Elle l'était. Mais beaucoup des tribus qui existent aujourd'hui sont moins des survivantes du passé pré-colonial que les produits des pratiques administratives ou économiques des puissances coloniales. Ces pratiques introduirent une nouvelle géographie politique dans laquelle les africains étaient administrés en tant que "tribus" et qui faisait ainsi de "la tribu" une référence de plus en plus centrale pour l'identité individuelle. En conséquence, si la tribu s'est mise à jouer un rôle si décisif dans les politiques africaines contemporaines, c'est moins en raison d'une tradition ancienne (une grande partie de la tradition est clairement d'origine moderne)53 qu' en raison de la manipulation politique de l'ethnicité par l'état, qu'en raison du besoin qu'avaient les migrants urbains de maintenir les liens avec les communautés rurales dans des économies où l'émigration est décisive pour la survie des communautés, qu'en raison d'autres circonstances contingentes (et changeantes) liées à l'histoire.54
Vers une "naturalisation" du conflit
Déjà criticables en raison de leur caractère autoritaire et de leur mépris pour les droits de l'homme et l'histoire, les approches qui préconisent la séparation forcée (des protestants et des catholiques en Irlande du Nord; des hutu, des tutsi et des twa au Rwanda; des turcs et des grecs cypriotes à Chypre; des hindouistes et des musulmans en Inde) doivent être aussi questionnées sur la façon dont elles utilisent "la Culture en tant que Loi de la Nature" pour masquer le rôle des forces politiques qui manipulent l'ethnicité afin de susciter violence et discrimination.
La politique des boucs émissaires, sur base ethnique, est perçue comme la seule réponse possible (et excusable) à l'insécurité politique et économique. Au moment où la mondialisation et les programmes de développement imposés par les élites dérèglent les modes de vie et menacent la survie de bon nombre de personnes partout dans le monde, ceux qui trouvent refuge dans les mouvements racistes/ethnicistes se voient fournir une "explication" à la violence qu'ils exercent sur "l' autre".55
Les réponses non racistes à la violence communautaire sont souvent peu visibles. Adhérer "au droit d'être différent" ne signifie pas imposer, contrairement aux positions de la Nouvelle Droite et des autres culturalistes autoritaires, la voie (sans retour) de la séparation culturelle. De même rejeter la séparation culturelle forcée comme "solution" politique à la violence ethnique ne signifie pas adherer à l'intégration forcée (contrairement à ce que prétend la Nouvelle Droite). Il y a beaucoup d'autres réponses - même en plein conflit - qui sont expérimentées par les nombreux mouvements qui cherchent à developper "des formes diverses d'alliance et d'affiliation transnationales" basées sur l'équité, le pluralisme, et le respect du droit des peuples à l'auto-détermination.56
La réalité du Mouvement de la Paix en Irlande du Nord a été niées complètement par ceux qui défendent la thèse des différences innées et inconciliables entre protestants et catholiques. L'existence de mouvements de ce type, aussi bien dans le Nord de l'Irlande qu'ailleurs, est un argument puissant pour contrer les conceptions qui font du "racisme", de la "xénophobie" et des expressions violemment discriminatoires de l'ethnicité des réponses en quelque sorte "naturelles" et "prédéterminées".
Le racisme et la xénophobie sont, en effet, des réponses communes aux tensions et à l'insécurité qui sous tendent de nombreux conflits mais ils constituent seulement un type de réponses parmi beaucoup d'autres - aucune réponse n'étant plus "naturelle" que les autres. En outre, le fait même que les mouvements racistes aient à fournir de tels efforts pour manipuler l'ethnicité à leurs propres fins xénophobiques apporte un démenti aux arguments "naturalistes" promus par ses "guerriers ethniques". En Inde, par exemple, le groupe Hindi Right a cultivé assiduement l'idée qu' hindous et musulmans étaient irrémédiablement opposés et travaillé à l'élaboration de la haine à travers un programme politique qui inclut délibéremment l'infiltration des mouvements qui leur sont opposés dans le but de s'approprier leurs causes à des fins xénophobiques.57 Si l'on essaie d'analyser les conflits entre hindous et musulmans en laissant de côté cette manipulation mais en se référant au mythe des haines prédéterminées, on ne parvient pas non plus à une "explication" pertinente. Au contraire, il s'agit de réponses par essence racistes et xénophobes.
Des réponses plurielles
Comme on l'a déjà dit, il ne s'agit pas de nier l'existence de l'ethnicité comme réalité sociale. Ainsi comme le note Stuart Hall, Professeur de sociologie à l'Univerté ouverte du Royaume uni:
"Nous parlons tous d'une place particulière, à partir d'une histoire particulière, d'une expérience particulière, d'une culture particulière, sans être enfermé dans cette position ... Nous sommes tous en ce sens ethniquement situés et nos identités ethniques sont essentielles à la perception subjective de ce que nous sommes".58
Il s'agit plutôt de réfuter l'idée que l'ethnicité a pour fondement la biologie, le destin ou un ensemble "authentique" de traditions culturelles immuables et d'insister sur le fait que les formes qu'elle prend sont historiquement contingentes et en constant changement ... Il s'agit aussi de plaider en faveur d'une politique qui rejette les identités culturelles dont la survie est liée à la marginalisation, à la destitution et à la mise en stéréotypes des autres formes d'ethnicités.
Il faut plaider en faveur du pluralisme - afin d' entretenir non seulement les différences entre groupes ethniques mais aussi ce qu'ils ont en commun. Il s'agit de plaider en faveur de l'équité dans la mesure où des sociétés plurielles dans lesquelles les relations ne sont pas équitables aboutiront inévitablement à la domination d'un groupe sur un autre. C'est donc un appel à l'enrichissement des relations et des pratiques culturelles, sociales et économiques qui rendent des groupes disparates capables de vivre ensemble sur un pied d'égalité dans une communauté plus large.
L'émergence d' aménagements culturels et institutionnels qui rendraient possible un tel pluralisme présuppose l'idée d'un "localisme cosmopolite". Ce "localisme cosmopolite" respecterait les différences mais serait ouvert au changement et au remaniement des traditions, serait curieux, ouvert aux débats et respectueux des opinions et des modes de vie des autres, serait toujours vigilant quant'au pouvoir oppressif de la culture, serait prêt à combattre aussi bien les relations sociales quotidiennes et les idéologies qui privilégient un groupe par rapport à un autre que les structures plus visibles du pouvoir - entreprises transnationales TNCs, démagogues populistes, Etat - qui créent les conditions favorables au développement du ressentiment et de la malveillance ... quand (différentes) sortes de marginalisés sont rassemblées59 elles peuvent être manipulées vers un conflit ethnique.
Ni droite ni gauche?
La portée de la manipulation politique de l'ethnicité s'est indubitablement accrue avec la libéralisation de la circulation des capitaux, l'adoption presque partout dans le monde de politiques de marché libre et la création de nouveaux territoires économiques - du "NAFTA" en Amérique du Nord à l'U.E. en Europe. Ces processus sont en train de remodeler en profondeur la nature et le but de l'état national. L'érosion des vieilles identités nationales d'une part, l'insécurité économique, les disparités et la marginalisation sociale croissantes d'autre part créent un terrain fertile pour ceux qui aimeraient rendre les 'immigrants", "les étrangers" et les minorités responsables des tensions qui en résultent.
En Europe et en Amérique du Nord, beaucoup de mouvements progressistes - des syndicats aux environnementalistes - ont réagi à cette politique des boucs émissaires en mettant en évidence les causes politiques et économiques de la marginalisation et de l'insécurité croissantes. Ils dénoncent, par exemple, les politiques néolibérales qui provoquent une grande insécurité du travail, la baisse des rémunérations et dressent une communauté contre une autre dans l'espoir d'attirer les investisements supposés créer des emplois. Ils dénoncent aussi les tensions régionales croissantes que va probablement entraîner le mouvement de l'UE vers l'union économique et monétaire (UEM) - et le danger de voir ces tensions s'exprimer par une violence ethnique croissante. Ils plaident pour des politiques qui relocaliseraient les économies sous le contrôle, plus grand, de la communauté.
On assiste à l'émergence d'un mouvement de plus en plus efficace dans la lutte contre l'exclusion économique et contre la loi des grands groupes. Beaucoup de mouvement ont, connu des remaniements internes et forgé de nouvelles alliances. Cependant, bien que nécéssaire, cette focalisation sur les structures visibles responsables de l'exclusion économique ("TNCs", accords etc.) a conduit à l' occultation partielle de formes moins évidentes d'exclusion - en particulier des nouvelles idéologies remaniées qui étayent et légitimisent fortement la discrimination ethnique. Les explications par le "Sang" et la "Culture" en sont justes deux exemples.
Les arguments développés contre la mondialisation semblent intéresser de plus en plus aussi bien des éléments de la droite autoritaire mais radicale que des élements de la gauche progressiste. On a souvent l'impression que la lutte contre la mondialisation constitue une plate forme où se rejoignent gauche et droite. En réalité une telle plate forme n'existe pas. Il ya deux réponses face à la mondialisation, une réponse de la droite autoritaire et une réponse progressiste - et les deux sont dangereusement confondues. La rhétorique "Ni droite ni gauche" n'est pas seulement une erreur: elle est dangereuse.
Le danger est double. En premier lieu, la possibilité de partager une plate - forme avec les groupes autoritaires menace de discréditer l'opposition progressiste à la mondialisation auprès de ses potentiels alliés politiques et donc d'affaiblir le mouvement. En second lieu, le fait de ne pas lier l'opposition aux idéologies qui renforcent l'exclusion sociale et l'opposition à l'exclusion économique offre des occasions supplémentaires aux groupes autoritaires de dessiner les "localismes" qui émergent selon leurs intérêts - occasions qui ne leur seraient pas offertes si l'accent n'était pas autant mis sur la seule exclusion économique.
Même s'il semble sécurisant et nécéssaire de créer une opposition aussi large que possible à la mondialisation, il est certainement essentiel de savoir où cette opposition va nous mener. Les alliances que nouent les prossessistes - même si elles ne sont que tacites - auront inévitablement une influence sur les résultats du mouvement. S'ils veulent être sérieux dans leurs engagements pour des "localismes" cosmopolites ouverts et équitables, de simples discours ne sont pas suffisants. Il est plus important d'agir et, dans cette action, le choix de nos alliés sera, en dernière analyse, décisif pour savoir où notre action nous mènera.
Notes and references
1 Keane, F., Letter to Daniel, Penguin, London, 1996, p.226.
2 Appadurai, A., Modernity at Large: Cultural Dimensions of Globalization, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1996.
3 Keane, F., op.cit. 1, p.226.
4 Keane, F., op.cit. 1, p.226.
5 Hobsbawm, E. and Ranger, T., The Invention of Tradition, Cambridge University Press, Cambridge, 1996
6 Uvin, P., Development, Aid and Conflict: Reflections from the Case of Rwanda, Research for Action 24, United Nations University/WIDER, Helsinki, 1996: de Waal, A., 1994, "Genocide in Rwanda", Anthropology Today, Vol.10, No.3, June 1994.
7 Lewis, J. and Knight, J., The Twa of Rwanda: Assessment of the Situation of the Twa and Promotion of Twa Rights in Post-War Rwanda, World Rainforest Movement and International Work Group for Indigenous Affairs, Oxford, 1996.
8 Uvin, P., op. cit. 6, p.4.
9 Keane, F., op.cit. 1, p.228.
11 Prunier, G, The Rwanda Crisis: History of a Genocide, Colombia University Press, New York, 1995, p.49.
12 Uvin, P., op. cit. 6, p.10.
14 Chossudovsky, M., The Globalisation of Poverty: Impacts of IMF and World Bank Reforms, Zed Books/Third World Network, London, 1997. See especially Chapter 5, "Economic Genocide in Rwanda".
16 Keane, F., op.cit. 1, p.230.
17 Uvin, P., op. cit. 6, p.32.
18 Uvin, P., op. cit. 6, p.31.
19 Chossudovsky, M., op. cit.14: Malcom, N., Kosovo: A Short History, Macmillan, 1998.
20 Hitchens, C., Hostage to History: Cyprus from the Ottomans to Kissinger, Verso. London, 1997.
21 Malcom, N., op.cit. 19.
22 Appadurai, A., op. cit. 2, p.14.
23 Ibid.
24 See for example: James, W., "Uduk Resettlement" and Allen, T., "A Flight from Refuge" in Allen, T., In Search of Cool Ground: War, Flight and Homecoming in Northeast Africa, URISD/Africa World Press/ James Currey, Oxford, 1996. Tim Allen shows how "Madi" identity has been constructed in response to the practices of the colonial state, whilst Wendy James offers a case study of how the "Uduk" have first been perceived and now perceive themselves as an ethncity.
25 Martono, Proceedings of the Meeting between the Department of Transmigration and the Inter-Governmental Group on Indonesia, Jakarta, 20 March 1985, quoted Colchester, M., 'Unity and Diversity: Indonesia's Policy towards Tribal People', The Ecologist, Vol. 16, Nos 2/3, 1986; 59.
26 Ibid.
27 Hirsch, P., 'Seeking Culprits: Ethnicity and Resource Conflict', Watershed, Vol.3, No.1, July-October 1997, p.25.
28 Prebble, J., The Highland Clearances, Penguin, London, 1969.
29 Kinealy, C., This Great Calamity: The Irish Famine 1845-52, Gill and Macmillan, Dublin, 1994: Kinealy, C., A Death-Dealing Famine: The Great Hunger in Ireland, Pluto Press, London, 1997: Woodham-Smith, C., The Great Hunger: Ireland 1845-9, Hamish Hamilton, London, 1963.
30 Balibar, E. and Wallerstein, I., Race, Nation, Class: Ambiguous Identities, Verso, London, 1991.
31 See: Barnes, I. R., "The Pedigree of Grece", Patterns of Prejudice, 14 (3) 1980: Pfaff, W., "The Presentable Face of France's Extreme Right", International Herald Tribune, 13 February 1997: "'Intellectual' fascists celebrate 25 years", Searchlight, Sept. 1994; Harris, G., The Dark Side of Europe: The Extreme Right Today, Edinburgh University Press, 1994, p.89ff. Commenting on GRECE's role within the Far Right in France, Harris writes: "It is clear that Le Pen, as well as benefiting from the economic and social crisis in contemporary France, has also been strengthened by the work of the intellectuals of the Nouvelle Droite, whose conscious aim has been to make the ideas of the extreme right dominant in French political life ... This movement is generally considered to be based around GRECE ... Its aim was always nothing less than cultural hegemony. It considers public opinion extremely vulnerable to the acceptence of their ideas provided that the message is transmitted in a way which hides its origins and real objectives: 'The political aims may under no circumstances be exposed. We have to present our aim particularly as an intellectual and moral revolution, and must be extremely careful in the political strategy.' "... This strategy is a lot more sophisticated than the ideas which lie behind it. Its aim being 'the intellectual education of everyone in whose hands the power of decision will come to rest in the coming years', it has built up a network of publications, study groups, and front organisations to ensure that what are really extreme-right ideas enter the very fabric of French intellectual and political life... Grece has developed contacts in other countries, including Britain, Italy and Germany."
32 de Benoist, A. "Three Interviews with Alan de Benoist", Telos Nos 98-99, Winter 1993.
33 Appadurai, A., op. cit. 2.
34 Balibar, E. and Wallerstein, I., op. cit. 30, p.22.
35 See: Kohn, M., The Race Gallery: The Return of Racial Science, Jonathan Cape, London, 1995: Salecl, R., Psychoanalysis and feminism after the fall of socialism, Routledge, London, 1994.
37 Axtmann, R., Ibid.
38 See: Taguieff, P-A., "The New Right on European Identity", Telos Nos 98-99, Winter 1993.
39 Axtmann, R., op. cit. 36, p.105.
40 Langdon, J., "Antwerp's Blok vote", The Independent, 10 January 1995.
41 Salecl, R., op. cit. 35.
42 Zizek, S., "Multiculturalism - A New Racism?", New Left Review 225, September/October 1997, p.30.
43 Goldsmith, E., The Way: An Ecological World-View, Themis Books, London, 1996.
44 Sachs, W., "Letter to Edward Goldsmith", Retraite Au Forets, November 1995.
45 Goldsmith, E., "Basic Principles of Cultural Ecology", The Ecologist, Vol. 2, No.5, 1971, p.4.
46 Porter, E., "Identity, location, plurality: women, nationialism and Northern Ireland" in Wilford, R. and Miller, R. L., Women, Ethnicity, Nationalism: The Politics of Transition, Routledge, London, 1998.
47 Golsmith, E., personnel communication, 27th October 1997.
48 Ibid.
49 For further discussion, see: Richards, P., Fighting for the Rain Forest: War, Youth and Resources in Sierra Leone, James Currey/Heinemann/ International African Institute, Oxford, 1996.
50 Ranger, T., "Concluding Reflections on Cross-Mandates", in Allen, T., op. cit. 23, p.327
51 Ranger, T., "The Invention of Tradition in Africa" in Hobsbawm and Ranger, T., op. cit. 5, p.248. See also: Vail, L., (ed.), The Creation of Tribalism in Southern Africa, University of California Press, Berkeley, 1991; Young, C., "The Colonial Construction of African Nations" in Hutchinson, J. and Smith, A.D., Nationalism, Oxford University Press, Oxford, 1998, p.225.
52 Ranger, T., "The Invention of Tradition in Africa" in Hobsbawm and Ranger, T., op. cit. 5, p.248.
53 Commenting on customary land rights, for example, Ranger goes as far as to state that, "What were called customary land-rights, customary political structure and so on were in fact all invented by colonial codification."
54 See, for examples, Vail, L., op. cit. 51.
55 Balibar, E. and Wallerstein, I., op. cit. 30, p.23.
56 Kothari, S., "Rising from the Margins: The Awakening of Civil Society in the Third World", Development, No.3, 1996: Kothari, S., "Whose Independence? The Social Impact of Economic Reform in India", Journal of International Affairs, Summer 1997, Vol. 51, No.1, 1997: Appadurai, A., Modernity at Large: Cultural Dimensions of Globalization, University of Minnesota Press, Minneapolis, 1996: Shiva, V., 1996, "The Alternative to Corporate Protectionism", Bija - The Seed, Nos. 15/16.
57 McGuire, J., Reeves, P., Brasted, H., (eds), Politics of Violence: From Ayodhya to Behrampada, Sage, New Delhi, 1996.
58 Hall, S., "The New Ethnicities", in Hutchinson, J. and Smith, A.D., Ethnicity, Oxford University Press, Oxford, 1996, p.163.
59 Hoffman, E., Shtetl: The History of a Small Town and an Extinguished World, Secker and Warburg, London, 1997, p.83.
End Note
Nicholas Hildyard worked at The Ecologist from 1972-97, assuming the journal's editorship (with others) from 1990-1997. In 1997, political differences with the magazine's founder, Edward Goldsmith, over ethnicity and gender issues led Hildyard and the rest of the editorial team to leave and to set up The Corner House. An earlier version of this paper, "Blood and Babies" is published in Ecology, Politics and Violent Conflict, Suliman, M. (ed.) Zed Books, London, 1998.